Il y a chez Fauvette un très joli texte qui décrit le cordonnier de son enfance. Du coup, je me suis mise à repenser à celui de ma ville natale, Saint-Martin. Plus village que ville à l’époque, mais pourtant « capitale » d’une île de Ré qui n’était pas encore envahie par les pipoles.
Le cordonnier avait sa minuscule échoppe sur le même trottoir que le bureau de tabac de ma grand-mère, où je vivais, à l’angle du quai de la Poithevinière et de la rue du Baron de Chantal. Je ne me souviens plus de son nom, hélas… mais on devait sûrement l’appeler « le père » quelque chose, selon l’habitude locale. J’allais de temps en temps chercher ou déposer des chaussures, c’était à quelques dizaines de mètres de la maison. Je n’avais, bien sûr, pas l’autorisation de m’attarder plus que de raison mais j’aimais l’odeur de cuir et de colle mêlée de tabac qui régnait dans ce petit rabicoin. Il y avait des marteaux de toutes les formes, des clous, des meules, des appareils étranges qui m’effrayaient un peu. Le cordonnier était un petit homme au visage rond, sans beaucoup de cheveux. On ne lui connaissait pas de famille, mais il avait des amis qui passaient avec lui de longue heures à parler et à fumer. De quoi ? Je me le demande encore car il n’avait sûrement pas fait la guerre : il avait un pied bot qui lui rendait la démarche difficile et douloureuse et on voyait cette souffrance sur son visage.
Il venait régulièrement acheter « un paquet de tabac gris », sorte d’arrache-poumon qui servait à rouler des cigarettes, éventuellement fumer la pipe. Il ne parlait pas beaucoup avec ma grand-mère et je le regardais avec une sorte de crainte. J’étais impressionnée par sa chaussure orthopédique. Je l’imaginais la fabriquant lui-même en cachette, la nuit. C’était peut-être vrai… Chaque jour, je tournais le coin de la rue du Baron de Chantal pour me rendre à l’école et jetais un coup d’oeil dans la boutique. Il faisait partie de mes habitudes. Plus tard, lorsque mes échappées belles me ramenaient au petit matin, je me dissimulais à l’angle de chez lui pour laisser passer ma grand-mère. Elle allait tous les jours chercher des croissants peu avant 7 heures, pour ensuite ouvrir le magasin et ne le refermer que le soir, à 9 heures l’hiver, à minuit l’été. Lui n’était pas encore arrivé, ce qui me permettait d’attendre relativement tranquillement, assise sur la grosse pierre qui couvrait la grille du caniveau, que passe ma terrible mamie. Je pouvais alors me glisser à la maison par la porte du couloir, dont j’avais subtilisé la clef, bien sûr.
Tout cela se passait il y a si longtemps… je croyais bien avoir tout oublié. Heureusement qu’il y a Fauvette …
Stella, il est beau ce texte.
C’est vrai l’odeur du cuir, de colle, de teinture, quel univers.
Raconte encore des souvenirs comme cela, du temps de l’ile de Ré. Tu m’enchantes !
Et merci pour le lien.
Pourquoi tous les cordonniers travaillent-ils dans un rabicoin et sont pieds-bots ?
Tous ceux que j’ai connus répondaient à cette définition, le Daniel, mon préféré, est courbé du matin à tard le soir dans son rabicoin qui sent la colle et le cirage : mais qu’elle chaleur humaine dans ce rabicoin ! qui ne l’aime pas, ce cordonnier difforme qui promène son ombre dansante le long des murs de l’église le soir, tard, quand il rentre enfin chez lui ; parce que le tôt le matin, personne ne l’a vu entrer dans son échoppe. Il pourrait en raconter des choses sur les usagers des chaussures qui lui sont apportées. Il pourrait en dire des choses à partir des déformations et usures des cuirs et caoutchoucs, à partir de la qualité des matériaux, du choix des modèles qui couvrent nos orteils. Sûr que Daniel est savant en chaussuthérapie, mais il n’en dit mot ! c’est un sage souriant et riant.
J’ai bien aimé votre blog. J’ai redécouvert les odeurs du passé, les souvenirs de ma jeunesse, la chaleur humaine. Merci de lire mon blog et peutêtre de le mettre en lien. http://ambatill.blog.lemonde.fr/