Les passagers des avions en partance pour le Mali sont depuis longtemps divisés en deux catégories : les Maliens, reconnaissables à leurs bagages dont le volume minimum n’est jamais inférieur à 30 m3 et les Européens, identifiables à leur regard à la fois compassionnel et découragé. La compassion et le découragement sont les deux moteurs hors-bord placés l’un à la poupe, l’autre à la proue du navire dénommé « O.N.G. », organisations non gouvernementales, le rendant incapable d’avancer comme de reculer. C’est la raison pour laquelle depuis au minimum cinquante ans, des milliards de dollars et des tonnes d’énergie ont été investis en Afrique sans que le continent n’évolue d’un iota. Je passe sur la catégorie « soeur dominicaine en mission » et son corollaire, le Père Blanc, qui voyageaient déjà sur ces lignes avant que l’on invente les aéroplanes.
Depuis quelques temps, on trouve une troisième catégorie de voyageurs : celui qui n’a pas de billet. Non pas le malheureux passager clandestin nanti d’un mortel espoir et qui se pelotonne près du train d’atterrissage pour geler vif dès que l’appareil atteint son altitude de croisière, mais celui qui repart à la maison contraint et forcé, encadré par deux policiers, j’ai nommé : l’expulsé. Qu’il n’ait pas de papiers, pas de boulot ou tout simplement pas de chance, son sort est scellé par la loi française : dehors.
Mon propos n’est pas d’entrer dans le débat sur la France-terre-d’accueil-quand-ça-l’arrange, mais plutôt de vous raconter comment, ce mercredi 29 novembre, le Paris-Bamako d’Air France s’est trouvé au coeur d’une révolution dont je me prends à souhaiter qu’elle devienne quotidienne. L’expulsé du jour n’était pas l’étudiant toulousain attendu, mais un garçon attrapé à Marseille. Qu’importe, il a bénéficié de l’activisme d’une étudiante, toulousaine et engagée, détentrice d’un passeport français, d’un billet pour Bamako et d’un visa en règle. Elle avait « chauffé la salle » en distribuant un tract et, dans l’avion, invitait chacun à manifester sa désapprobation en refusant d’attacher sa ceinture. Tièdes au début, les Maliens se sont bientôt mobilisés sous la vigoureuse pression d’un certain Sidibé, dont le verbe haut et le geste large étaient irrésistibles. Qu’ont murmuré à l’oreille de l’expulsé les policiers accompagnateurs… ? Toujours est-il qu’il a fini par affirmer vouloir, de plein gré, rentrer à Bamako. Le commandant de bord s’est alors tourné vers la jeune militante et lui a lancé : « vous, vous descendez ». Tollé général. Pour corser l’affaire, quatre policiers supplémentaires sont bientôt montés à bord pour prêter main forte au personnel d’Air France et faire descendre la rétive personne. La colère était à son comble.
Nous tous avons tant et si bien fait que le commandant de bord s’est vu contraint de faire machine arrière et de garder l’héroïne du jour jusqu’à Bamako.
Air France collabore. La compagnie a-t-elle le choix ? Si son personnel ne peut qu’appliquer les consignes qui lui sont données, nonobstant son avis personnel sur la question, il me semble évident que la direction a, elle, son mot à dire. Comme les usines Renault sous l’occupation, Air France a fait son choix. Nous, nous avons le droit de le regretter et de mettre du sable dans son attiéké…
J’avoue mon inculture de ne pas savoir ce qu’est un attiéké , mais l’essentiel est de comprendre le message. Mouais…difficile tout de même pour une compagnie nationale de ne pas appliquer les consignes du Ministère de l’Intérieur! En tout cas, merci pour cette « révolution » for bien racontée…
J’ai eu vent de cette histoire aujourd’hui meme au bureau, que je trouve d’un point de vue personnel exemplaire du point de vue humain et de la dignite.
« Air France collabore, elle n’a pas le choix » et sa direction depuis un certain temps le deplore. Elle est avant tout une compagnie commerciale mais a par ailleurs obligation, simplement en tant que « transporteur », de ramener certains passagers (appeles dans le jargon DEPA ou DEPU) dans leur pays d’origine. Dans certains cas la compagnie est aussi sanctionnee par de tres lourdes amendes pour avoir transporte un passager qui n’avait pas les documents necessaires a son voyage. Je peux garantir qu’on voit des choses tres tristes et des familles dechirees. C’est la face cachee de la « beaute des voyages lointains » telle qu’on a pu la decrire depuis l’invention des avions et du transport de masse…
J’aimerais aussi rappeler qu’il y a quelques temps, certains pilotes de la compagnie se sont insurges contre les pratiques degradantes, et gratuitement violentes parfois, infligees a ces passagers lors de leur installation dans l’appareil.
Certains pilotes ont simplement refuse de transporter non pas le deporté (la compagnie doit respecter la loi…) mais les policiers qui l’escortent pour comportements indignes de la dignite humaine envers la personne qui est forcee de rentrer dans son pays sur Air France.
Le pilote est le seul maitre a bord une fois que les portes de l’avion sont fermees, ce qui genere des problemes legaux a l’embarquement et des dilemnes assez graves entre personnels vol/sol.
L’anecdote, je le repete, me seduit. Mais elle pose aussi le probleme de la securite des vols.
Refuser de mettre sa ceinture c’est mettre en peril toute une chaine commerciale et surtout operationnelle tres couteuse pour finalement un probleme politique, social et humanitaire qui va beaucoup plus loin que la question de l’ethique/non-ethique d’une compagnie aerienne.
(Je sais que Stella et d’autres visiteurs de ce blogue le savent mais je rappelle que travaille pour Air France, dans un departement operationnelle a la delegation de Londres… faut assumer aussi! 😉