Non, je ne vais pas vous bassiner encore avec mes états d’âmes, ni avec les questions existencielles qui m’encombrent l’esprit en ce moment. Au passage, je remercie tous ceux qui m’envoient des messages de soutien. Vous n’imaginez pas à quel point ça me réchauffe le coeur. L’autre jour, j’étais presque au bord des larmes et c’est ça qui m’a sauvée de la déconfiture ! Je me suis dis que, tout de même, vous étiez vraiment des gens formidables. Et pas uniquement virtuellement.
Bon, où en étais-je ? Ah oui. Je viens de lire dans la presse que le Parti communiste russe avait lancé une pétition, le 12 novembre dernier, pour maintenir la momie de Lénine dans son fameux mausolée, sur la place Rouge, à Moscou. Oui, je sais, j’ai des centres d’intérêt morbides, mais ça passera. En attendant, je me suis souvenue de mon premier voyage à Moscou, envoyée spéciale par mon magazine. Ce devait être à l’automne 1999 ou 2000.
J’habitais à l’hôtel Rossia et, par grande chance, ma baie vitrée donnait en plein sur la place. Une merveille. Sur la droite, la pyramide cubique du mausolée – symbole d’immortalité – rompt l’harmonie des murs rouges crénelés du Kremlin, rappelant à chacun, s’il en est encore besoin, ce jour d’octobre 1917, où la révolution a changé la face du monde slave. Mais aucun chef de l’Etat russe ne vient plus prononcer de discours depuis la tribune dissimulée à son sommet. Les visiteurs sont désormais clairsemés, quoique on y trouve toujours des babouchki en fichu et quelques vieux Sovietski guerroï [héros de l’Union soviétique, plus haute distinction militaire de l’Union soviétique] qui arborent fièrement leur médaille sur la poitrine.
A l’intérieur de l’édifice, règne une pénombre à laquelle il faut plusieurs secondes pour s’habituer. Quelques degrés à descendre, un coude vers la droite puis un grand escalier magistral, dallé de marbre. Les gardiens sont en grand uniforme, mais ils ont perdu cette immobilité statuaire qui caractérisait l’époque soviétique. Diadia Lenin [Tonton Lénine] comme répétaient autrefois les petits enfants dans leur comptine, est là, couché, les yeux clos, improbable silhouette d’une étrange pâleur. Il est interdit de s’arrêter pour le détailler. Crainte d’un geste de désespéré ? Souvenir des queues interminables du passé ?
Une lumière rose venue de nulle part lui donne bonne mine. Il a les joues pleines, le front lisse, mais son corps est anormalement plat, comme un cadavre dans une morgue. Ce qu’il est, d’ailleurs. Ses vêtements, désormais changés tous les trois ans, sont d’une sobriété de bon aloi : un costume noir – le dixième aujourd’hui – une chemise blanche, une cravate « à la russe » noire à pois blancs, très sixties. Il repose dans un cercueil de verre, où l’air aseptisé est maintenu à température constante, qui fait un peu loupe. Il paraît donc plus grand que nature. Son poing droit est fermé, symbole de la lutte qu’il a incarnée jusqu’à son dernier souffle. Les doigts étendus de sa main gauche ont les ongles vernis et l’ensemble apparaît si figé que l’on s’interroge : seraient-ce des mains de cire ? Ne resterait-il de l’homme le plus célèbre du monde que cette tête, autrefois remarquable, aujourd’hui emplie d’on ne sait quelle paille ?
Totalement isolée de l’extérieur, la salle ne résonne que des pas timides et respectueux des quelques visiteurs. L’âme de Lénine s’est envolée depuis longtemps. Ne subsiste en ce lieu que le résultat des prouesses techniques des embaumeurs, dont le laboratoire jouxte la sépulture. Là, une fois par an, en hiver, la momie est placée un mois durant dans un bain dont la composition est soigneusement tenue secrète.
Depuis quelques années, la question revient périodiquement dans les journaux russes, paraphrasant l’une des œuvres les plus célèbres de Lénine : Que faire ? Doit-on enterrer Vladimir Ilitch Oulianov, quatre-vingt-un ans après sa mort, par exemple près de sa mère, à Saint Pétersbourg (ex-Léningrad) ou poursuivre ad vitam aeternam cette exposition publique ?
Kirsan Ilioumjinov, président de la république de Kalmoukie, un petit territoire situé sur la basse Volga, en bordure de la mer Caspienne, a proposé de racheter corps et mausolée pour 1 million de dollars. Sacrilège, crient les communistes, qui n’ont aucune confiance en ce peuple descendant de Mongols originaires du Turkestan chinois, qui s’est illustré dans l’armée des Russes blancs pendant la révolution bolchevique. C’est un comble, tout de même.
Ce billet me rappelle que moi aussi, lors de mon voyage à Moscou, en 2000, je suis allée voir Lénine dans son cercueil de verre façon Blanche-Neige.
Or, si je me souviens parfaitement de la gigantesque esplanade, des gardes qu’on dirait eux aussi momifiés, des touristes faisant la queue, du couloir sombre et de l’étrange cercueil de verre, je ne me souviens pas du corps. Peut-être en effet parce qu’on n’avait pas le temps de s’arrêter… J’admire ta mémoire des détails, pour moi, je ne me souviens de rien.
Merci pour ce billet-loupiote dans le vaste monde. Et reçois de moi de douces pensées… je t’embrasse
Bonjour, je me suis bien promené parmi les mots. Bonnes Fêtes.
Seriez-vous la StellaMaris du Tourisme Françcais?
assumer l histoire micro et macro , voilà; la seule façon de grandir , meilleurs voeux et à plus
Bonjour et Joyeux Noël à tous. Bien que n’étant pas la Stella Maris du Tourisme français, je suis ravie de vous avoir fait voyager.
Je suis partie pour la période des fêtes, à très bientôt pour de nouvelles aventures.