Emeutes, cette nuit, à Villiers-le-Bel et ses environs. Des blessés par dizaines, des voitures brûlées, des commerces dévastés, deux écoles détruites et une bibliothèque incendiée.
Ne nous a-t-on pas assez dit et répété le mot d’Hampâté Ba : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »
Et une bibliothèque qui brûle, qu’est-ce que c’est ? Le traumatisme perdure depuis l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, de voir partir en fumée un inestimable patrimoine de l’humanité, tant celle-ci se détermine hors de la barbarie par sa culture et, plus finement encore, par la culture qu’elle a su immortaliser dans ses livres.
Comment se fait-il que, des siècles plus tard, les bibliothèques continuent de brûler ?
En 1872, Victor Hugo publie L’Année terrible, un recueil de poèmes qui racontent les souffrances de la France de 1870, en butte à la guerre contre la Prusse (perdue) et la guerre civile à Paris. Il est question, là, de l’incendie de la bibliothèque des Tuileries.
A qui la faute ?
Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui.
J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
– Je ne sais pas lire.
Eh oui. Il est fort dommage que, s’ils savent lire, nos politiques lisent sans comprendre. Jeunes, ils ont peut-être appris ce poème d’Hugo. Mais ils n’ont fait que l’ânonner sans retenir son sublime message. Oui, il eut fallu apprendre à lire à cet homme de 1870. L’avons-nous fait ? Il est permis d’en douter puisque l’histoire se répète : il eut fallu apprendre à nos jeunes à aimer ce patrimoine qui leur appartient, cette littérature, cette histoire, cette géographie qui sont les leurs, quelles que soient leurs origines. Les bibliothèques n’ont pas de nationalité. Elles n’ont rien à voir avec le ministère de l’Identité nationale, de l’intégration et de l’ADN. Les flammes qui s’en échappent éclairent d’un jour cru la faillite de notre système, montrent d’une langue mordante notre coupable faiblesse, celle qui nous a poussés à accepter sans broncher cette infâmie.
Une bibliothèque a été brûlée, mais aussi une école : le lieu où l’on apprend à lire, le lieu où tous les enfants du quartier apprennent à lire, sans distinction. Lieu d’incitation à la curiosité qui devrait aboutir à faire aimer le livre, la lecture, la réflexion, la découverte ; lieu d’espoir et d’ouverture qui se doit d’ aboutir sur le savoir sans limites.
Pourquoi la jeunesse (et peut-être aussi les moins jeunes) est-elle désespérée au point de détruire ce qui devrait être la base de son salut : l’école et la bibliothèque.
Quand toute espérance est rendue inaccessible, il n’y a plus grand chose à perdre. Deux attitudes sont alors possibles : la servilité ou la révolte.
L’homme étant un loup pour l’homme dans la jungle de la société et la force, qui se rit de l’éducation, donnant de meilleurs résultats, que la violence éclate, rien à perdre ? Barbarie du désespoir qui risque d’enchaîner sur d’autres barbaries…..quouste tandem… ? et l’histoire se répète !
Qui trouvera des solutions pour redresser la situation qui est enlisée depuis si longtemps ? Ce devraient être ceux qui ont appris à lire et à penser, ceux qui sont allé aux écoles et qui ont lu les livres des bibliothèques qui n’ont pas brûlé….
Autres vastes sujets de méditation : notre réponsabilité dans tout cela, l’évaluation de notre « coupable faiblesse » … ?
Brûler l’école, la bibliothèque… Symboles de leur exclusion ?
C’est tellement triste.
Je souscrits, hélas 🙁
Brûler bibliothèques et écoles est certes bien triste et signe que l’exclusion fait son oeuvre. Mais le plus dramatique est peut être qu’en l’occurrence c’est également le culte de la société de consommation qui nous éclate en pleine figure…en effet, les caméras de vidéo surveillance de la bibliothèque révèlent que « les révoltés » concernés ont en fait cherché à tirer profit des circonstances pour voler les deux ordinateurs de la bibliothèque. A la suite de ce vol (ayant bien retenus les enseignements des feuilletons nous révélant les secrets de la police scientifique) ils ont déclenché un incendie afin de ne laisser aucune empreinte derrière eux ! le feu s’est bien sûr propagé…y compris à l’école mitoyenne…
Mouais… Ça ne va pas bien loin comme réflexion : une biblio qui brûle et c’est parti, les intellectuels suffisants et pourvus de projets géniaux (pour leur gueule) se mettent à pondre des idées qui seraient refusées au lycée pour manque d’originalité sur le blog du Monde, exact pendant de Skyblog mutatis mutandis. Livres, importants, pas brûler, Rousseau, Lumières, snif, etc. Bienvenue dans le monde de Télérama.
L’article du Monde rapportant la sévérité des peines sanctionnant les quelques jeunes qui ont été attrapés -donc les moins méchants- (prison ferme pour avoir ramassé/volé un paquet de bonbons à un jeune, intégré et sans casier…), était assez éloquent pour qu’on se dise que les Lumières, Rousseau et la démocratie, il y a déjà bien longtemps qu’ils ont disparu.
À jamais.
moi je comprend leur geste mais je le trouve super excessif…
je comprends bien qu’être illettré est très mal vu dans le monde d’aujourd’hui et qu’il veuille donc s’en prendre à toutes les choses qui apprennent à faire cela. mais bon on peut se révoltr autrement quand même…..
Je pense que misère sociale ou pas, cela ne doit pas engendrer la violence. La faute ne vient pas uniquement des hommes politiques. Il faut arreter de rester dans cette posture d’hyper-critique vis à vis de la France. L’éducation doit venir premièrement par la famille. Ensuite par l’école. Et qu’est ce que l’école? Le plaisir difficile. Or, de nos jours, les jeunes se tournent vers la facilité. De fait, celui qui étudie devient le bouffon, celui qui se rebelle devient le « Dieu de la cour ». Les filles se pressent autour de lui, admirent son pouvoir de négation, et à partir de là, il devient un modèle. Plus, on le punit plus il gagne en succès. L’erreur se trouve, selon moi, ici même. Il ne suffit pas seulement de le punir, mais il faut ajouter une couche supplémentaire qui ternisse son succès avec la Honte. Car c’est par la Honte que commence la Morale.