La cantatrice française Régine Crespin est morte le 10 juin dernier à Paris, dans un silence assourdissant. Le Monde n’a fait paraître son hommage que le 7 juillet, heureusement sous la plume de l’excellent Renaud Machart. J’ai été particulièrement attristée de cette disparition car je la trouvais exceptionnelle. Pourquoi ? Pour sa tessiture particulière, son « la » aigu « exquisément piano » et sa diction « clarissima ». Ah, Régine Crespin dans le rôle de Marguerite dans la Damnation de Faust, d’Hector Berlioz, quel éblouissement !
Elle était née à Marseille le 27 février 1927. Premier prix du Conservatoire de Paris en 1949, elle fait ses débuts à Rheims dans Werther, de Massenet. En 1958, elle se produit pour la première fois au festival de Bayreuth. Lorsque j’étais enfant, mon professeur de Piano, Madame Gavet, allait chaque été à Bayreuth. « Je ne suis pas pianiste, je suis cantatrice », se plaisait-elle à nous répéter. Son corps quasi-obèse, sa gorge énorme et sa poitrine rebondie m’impressionnait grandement. Je l’imaginais sur scène dans des rôles lyriques à la mesure de sa carrure et je fantasmais sur Wagner, que je ne connaissais que par les disques poussiéreux empilés sur son vieil électrophone. Déjà, elle me parlait de Régine Crespin.
« Quand j’entends du Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne », a écrit Woody Allen, en référence ironique à Adolf Hitler, amateur de Wagner comme l’on sait et, d’une certaine façon, tout autant de la Pologne. Moi, c’est quand j’ai entendu Régine Crespin que j’ai eu envie d’aimer Wagner. Extraordinaire Brünnhilde dans La Walkyrie, elle est admirable dans toute la tétralogie. Cette musique a bouleversé toute mon enfance. Elle a stimulé mon imagination, occupé mes journées et, parfois, hanté mes cauchemars car certains accents en sont proprement effrayants.
En 1974, ce n’est donc pas sans une certaine émotion que, juste adolescente, je suis allée écouter Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach à l’Opéra de Paris avec « la » Crespin dans l’un des rôles, celui de Coppélia je crois. Je me souviens encore de mon émerveillement en entrant dans cette salle mythique, ses ors, son plafond signé Chagall. Même les fauteuils en velours rouge carmin m’enthousiasmaient. Je me suis laissée entraîner avec délice dans cette histoire fantastique, qui correspondait bien à mon besoin de mystère et d’inexpliqué, mais de Crespin, point. Elle était remplacée ce soir-là par Christiane Eda-Pierre, bonne certes, mais bien moins auréolée de mon admiration enfantine. Déception. Que s’était-il passé ? Je l’ai ignoré toute ma vie jusqu’à ce que je lise… l’article de Renaud Machart ! En fait, Régine Crespin avait été sifflée par son public lors de sa première prestation !! Si j’ai bien compris, elle le raconte dans ses mémoires (A la scène, à la ville, Actes Sud 1997). Quelle horreur… Comment ce public oublieux a-t-il pu se livrer à une telle iconoclastie ?
Régine Crespin a arrêté sa carrière en 1990, à 63 ans. Depuis, elle se consacrait entièrement à ses élèves du conservatoire. Elle fumait (des cigarettes extra-fines qui lui donnaient un air délicieusement sensuel et un peu hautain) et piquait des colères auxquelles celles de Madame Gavet n’avaient rien à envier. Un mimétisme de cantatrices, peut-être… Diva à fourrures, chapeaux et caniche, elle n’était pourtant pas une « Castafiore » mais une grande artiste, une timide qui se cachait derrière ces artifices pour mieux se protéger. Elle a eu « des » cancers, dont le premier a été diagnostiqué en 1978 donc bien longtemps avant qu’elle ne se retire de la scène. Que lui importait, rien, c’est prouvé, ne peut arrêter la divine Brünnhilde.
Mais les belles personnes, comme les belles choses, ont une fin. 80 ans de vie, ce n’est pas rien. C’est bien. Ni trop long, ni trop court. Moi aussi, j’aimerais bien arrêter à 80, inch’Allah.
Je ne vous savais pas fan d’opera…va falloir venir a Glyndebourne avec moi!
Pour se consoler de cette perte on peut toujours imaginer qu’une francaise vient d’atteindre Valhalla, et elle s’appelle Regine Crespin. J’aime assez l’image je dois dire…
elle est pas fan d’opéra, elle est fan des Wagner…
(très joli billet nostalgique !)
Ta as la chance de l’avoir vue et entendue ! Beau billet. J’ai vu les Contes d’Hoffmann l’hiver dernier à la Bastille… Tu devrais t’inscrire chez Kozlika (les Prosélytes lyriques…).
Bonjour,
Un jour de souvenirs je google « professeur de piano gavet » et là je trouve votre article sur Régine Crespin qui me laisse sur ma faim, jusqu’à ce que j’arrive au paragraphe sur Madame Gavet. Votre description est si réaliste que je me dis que l’on ne peut parler que de la même personne. Professeur de Piano à St Martin de Ré, revêtue de sa roble bleue (dont je qualifiais à l’époque le tissus de tafta) et de sa rangée de perle le soir des auiditions avec fenêtre ouverte sur jardin et sur rue……
Le discret Monsieur Gavet qui m’accueillait dans ce grand vestibule sombre les jours de cours en m’indiquant le baromètre de l’humeur de Madame ……
Je revois la pile de disque, pas l’électrophone, mais aussi les meubles de couleur jaune et cette ambiance si feutrée et si autoritaire à la fois.
Et puis cette sensation d’être vraiment un élément unique pendant son cours de piano.
Merci
Chère élève de Madame Gavet, vous m’avez touchée au coeur en me répondant. Ainsi, nous avons partagé cette dame extraordinaire… Quelle chose étrange qu’Internet !
Vous avez écrit « autoritaire »… j’en aurais des choses à dire sur ce sujet ! Je vais tâcher de rédiger un portrait plus précis de Madame Gavet. J’espère que j’aurai le plaisir d’échanger quelques mots avec vous sur ce sujet.
« A chaque fois que j’écoute du Wagner ça me donne envie d’envahir la Pologne »
Attribuée à Woody Allen, on trouve cette phrase chez Thomas Pynchon, dans l’Arc-en-ciel de la gravité, publié en 1973, soit bien avant le film de Woody Allen.
Sauf que là c’est Beethoven qui donne envie d’envahir la Pologne.
Voir p.435 de la traduction chez Fiction et cie, au Seuil.
Remettons les choses à l’endroit !
Régine Crespin chantait Giulietta dans les Contes d’Hoffmann, elle ne fut pas remplacée par Christiane Eda-Pierre, qui, elle, chantait un autre rôle, celui d’Antonia. C’est Suzanne Sarroca qui reprit le rôle de Giulietta après la défection de Crespin.
Regine Crespin est née à Nîmes . Elle fut élève au Lycée Feuchère dans la même classe que ma mère . Elle appartient à cette génération d’avant-guerre qui n’assumait pas ses origines « provinciales » , de même que Jean-pierre Cassel-Crochon etc.
Nicole
Merci beaucoup
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