La nouvelle exposition du musée Dapper, en place jusqu’au 30 mars 2008, s’intitule Animal. Cent cinquante œuvres, masques, statuettes, objets cultuels, de dignité ou de parure témoignent de la présence d’un dialogue ininterrompu entre les animaux et les hommes durant des siècles, dans les sociétés d’Afrique subsaharienne. Le léopard, le lion, l’éléphant, le buffle, le serpent, l’antilope etc, prêtent leurs qualités et leurs défauts aux humains jusqu’à devenir des référents majeurs dans l’organisation sociale et dans le monde sacré. Le mystère religieux, voire la charge émotionnelle qui entoure certaines figures présentées n’est pas le moindre des intérêts de cette exposition.
Car visiter le musée Dapper revient, une fois encore, à entreprendre une étonnante expédition, entre rêve et réalité. Geste voulu de la conservatrice, Christiane Falgayrettes-Leveau, ou coïncidence troublante née de la réunion d’objets dont certains sont bien étranges et ont – on peut l’imaginer – connu un destin spectaculaire, le visiteur est, d’emblée, projeté dans un monde extraordinaire.
Animal se veut didactique et, pourtant, nul n’échappe à l’extraordinaire ambiance qui règne dans les salles d’exposition. Il faut quelques instants pour s’habituer à leur curieuse pénombre. Il fait sombre mais chaque objet est minutieusement mis en relief par un jeu de lumière directe qui semble en modeler les contours. Alors, si l’on demeure encore quelques instant un citadin curieux, avide de culture, lisant studieusement les cartels, on lâche bientôt prise pour se laisser porter par l’histoire que nous conte cette extraordinaire collection.
Animaux mythique, animaux réels, animaux adorés, animaux craints, ils sont tous là, aux aguets, attendant le visiteur.
Les masques offrent la plus grande diversité. De la figuration naturaliste aux compositions complexes et stylisées, ils bousculent les repères et ébranlent les certitudes. Souvent, ils figurent des apparitions d’esprits de la nature dont le pouvoir est dangereux, aussi empruntent-ils leurs traits à des assemblages d’animaux divers pour n’être pas identifiables, ou encore à l’homme et à l’animal réunis, comme dans le très beau masque Dan (Côte d’Ivoire) présenté dans l’une des vitrines. Noir et lisse, sans autre ornement que de fines ciselures, il possède un bec de calao prodigieux, qui évoque irrésistiblement la force, derrière lequel l’ovale du visage humain est emprunt d’une curieuse douceur. L’animalité n’est d’ailleurs pas nécessairement présente dans la face sculptée mais peut se loger dans un élément du costume ou apparaître par l’intermédiaire du corps du porteur, quand celui-ci est possédé. Les entités évoquent alors non pas des humains à tête de buffle ou des oiseaux à corne, mais des êtres à part entière, avec des caractéristiques morphologiques qui leur sont propres.
Plus sages sont les représentations de l’antilope, dont les cornes s’élancent vers le ciel. Elles sont souvent associées à la fertilité et aux rites agraires. Les cimiers les plus élégants viennent de chez les Bamana du Mali.
Aller au musée Dapper, c’est aussi accepter de se faire conter des histoires. Comme celle du royaume Gan (Burkina Faso), fondé par la famille Farma, partie du Ghana avec les emblèmes du pouvoir. Durant le voyage, une entité surnaturelle s’est manifestée pour leur venir en aide sous l’apparence d’un grand python, emblème protecteur du Ghana. Il a accueilli la famille et lui a donné asile dans son antre. La caverne a dès lors été déclarée sacrée et les Farma y instaurèrent un culte dédié à cette entité. On la voit dans l’exposition, matérialisée sous la forme d’un extraordinaire serpent ondulé en bronze.
Son cousin le crocodile, animal amphibie qui règne surtout sur les eaux douces, se rencontre aussi dans les eaux salées des régions côtières. Il est, lui aussi, particulièrement vénéré des Akan des lagunes de Côte d’Ivoire et du Ghana. Leurs orfèvres l’ont fréquemment représenté sous forme de bijoux en or filigrané ou en bronze ou dans des séries de poids à peser.
Les poissons ne sont pas en reste. L’exposition montre notamment un poisson-scie posé sur un étonnant cimier Idjo, du Nigeria. A ses côtés, un masque bissau-guinéen représentant une raie porte un rostre véritable, souvenir d’une pêche miraculeuse, sans doute.
L’homme blanc n’est pas absent de ce bestiaire extraordinaire. Malgré son insondable dédain et sa peur inavouée pour les civilisations qu’il a étouffées méthodiquement en imposant son culte et son éducation, le colonisateur a su repérer l’habileté des artisans et la richesse de leurs sources d’inspiration. A preuve, cette sublime salière en ivoire sculptée en Sierre Leone au XVIème siècle. On pense qu’elle fait partie d’une commande à destination de l’Europe de la renaissance, sans doute de la famille Médicis, à Florence (Italie). Même chose pour les cuillères en ivoire en provenance du royaume de Bénin (communauté Edo, Nigeria), dont le motif ornemental fait d’oiseaux et de poissons est merveilleux de fragilité et de transparence.
En montant à l’étage, nous passons de l’Afrique occidentale à l’Afrique centrale. Là, les plus belles pièces proviennent de l’ancienne collection Jef Vanderstraete, dispersée à Paris à partir des années 1960 mais que l’on identifie toujours sous le nom de son ancien propriétaire, mécène éclairé.
Dans une vitrine, isolé, trône un très beau Nkisi de République démocratique du Congo. Objet puissant et redouté car on le dit capable de désigner et d’éliminer tous les coupables, il a la forme d’un chien. Cet animal est réputé pour son flair qui peut déceler les forces invisibles. Ce Nkisi a deux têtes aux deux extrémités de son corps. Les figures bicéphales répondent à la croyance selon laquelle posséder quatre yeux permet une vigilance extrême : deux observent le monde des vivants tandis que les deux autres pénètrent les choses de l’au-delà. Ces figures cultuelles servent aux rituels familiaux. Lorsqu’il faut agir au niveau de la communauté toute entière, on utilise un Nkisi Nkonde dont la force est décuplée. Celui-ci règle les litiges graves et il peut même déclarer la guerre.
La visite se termine sur une note humoristique, avec une jarre très moderne en forme d’oiseau, dont le bec verseur est en forme de… bec. Il vient de chez les Mambila, qui vivent au sud du plateau d’Adamawa, à la frontière entre Nigeria et Cameroun.
Les diverses traditions africaines s’accordent à dire que le Créateur aurait inventé les animaux avant les hommes. Ces derniers leur auraient donc emprunté leurs règles de vie et ainsi s’est bâtie une connivence entre les deux espèces, fondée sur la trinité homme – animal – esprit. A circuler librement entre les vitrines du musée Dapper où veillent certains des animaux les plus sacrés, le visiteur pourra, avec un peu d’imagination, prendre conscience de ce lien subtil.
merci pour ce beau voyage et cette non moins belle piste de réflexion…bises…
Hello deuxième femme de ma vie,
Juste un petit mot pour ne pas se perdre…….
Comment faire pour t’envoyer une photo et un fichier???
Gros gros bisous René
Là, tu me tentes !
Une belle exposition en perspective.