Voici cinq jours que je n’ai rien publié sur ce blog, pour cause de décès. Pas celui du prince Rainier, vous vous en doutez, mais celui du pape Jean Paul II. On est en train de tout dire, tout écrire, tout montrer de cet homme que l’on trouvera soit exceptionnel, soit réactionnaire, pas insignifiant en tous cas.
Je ne vais pas en rajouter une louchée ici, je viens d’en écrire dix pages pour le magazine qui m’emploie. En revanche, je voudrais dire un mot sur la souffrance.
On a peur de la souffrance, la sienne propre, celle des autres. Dans le questionnaire de Proust auquel j’ai participé il y a peu, il y a une question sur la façon dont on voudrait mourir. J’ai lu plusieurs fois, chez mes camarades bloggeuses, la réponse : « sans souffrir ». Jouissance pour certains, elle est redoutée par d’autres et, bien souvent, tous se rejoignent dans la crainte au moment de franchir la dernière porte.
Si la maladie a un corps, une apparence, la souffrance a un visage. Un masque, plutôt. D’aucuns se sont montrés choqués par les images de Jean Paul II dans ses brèves apparitions de la fin de sa vie, incapable de parler, vivante icône de la douleur non seulement acceptée, mais brandie à la face du monde. « Pourquoi nous montrer ce pauvre homme réduit à l’état de pantin, pourquoi ne pas le laisser en paix ? » s’est-on indigné. Pour une raison très simple : il le voulait. Il voulait aller au bout de sa vie. Muet, mais en pleine possession de ses facultés intellectuelles, il refusait de se laisser asservir par ce corps qui ne lui obéissait plus. C’est lui-même qui a imposé à son entourage effrayé les apparitions publiques, les mots balbutiés dans les micros etc.
La question subsiste : mais pourquoi ?
Il voulait rester fidèle à la toute petite phrase prononcée en 1978 : n’ayez pas peur. N’ayez pas peur de vous engager dans la vie, n’ayez pas peur de la mort et de ce qui va bien souvent avec : le masque de la souffrance.
A une autre échelle, on pourrait presque dire dans une autre dimension, je connais un homme, humble petite fourmi dans une chambre de l’hôpital Percy de Clamart, qui souffre de la même façon du cancer qui le ronge. Souvent, la douleur est plus forte que la morphine et son visage prend un ton grisâtre que je commence à connaître. Il ne dit rien de différent par rapport aux autres jours, à peine ses cils battent-ils un peu plus vite, à peine ses dents se serrent-elles un peu plus souvent. Il n’a pas choisi d’être malade, mais il a choisi d’aller jusqu’au bout de sa vie avec la conscience pleine et entière de ce qui se passe. Et il m’a choisie, moi, pour l’accompagner. Juste retour des choses puisque c’est lui qui a accompagné mes très jeunes années.
Au fil des jours, je me rends compte que s’il est facile d’accepter la maladie d’un être cher, il est difficile d’accepter sa souffrance, même si l’on a conscience du processus qui consiste à la montrer. J’ai vu beaucoup de cadavres, en particulier dans ma vie professionnelle. Certains étaient particulièrement moches. J’ai vu mourir des gens sous mes yeux, sans pouvoir esquisser un geste. J’ai vu des malades, des sidéens en phase terminale, de pauvres loqueteux maigres et effrayants, mais jamais je n’avais vu la souffrance. Elle m’arrive ces jours-ci en pleine face, par l’intermédiaire de ce pape Jean Paul II et par celle d’André. Je ne suis pas catholique, ma spiritualité emprunte d’autres chemins, mais aujourd’hui je suis ramenée à une triste constatation : oui, j’ai peur de souffrir.
La souffrance de l’autre est toujours inconnaissable, radicalement. Elle nous renvoie à la nôtre, à celle que nous avons expérimentée ou que nous ne connaissons pas et craignons, dans nos cauchemars.
Accepter d’aller jusqu’au bout de sa vie, souffrance comprise, est assez rare, je crois.
Ces dernières semaines, la mort de mon cousin au terme d’un cancer, m’a fait cotoyer la douleur de ceux qui restent et qui se sont épuisés dans cet accompagnement.
Dans ce cas, jamais la vie et la mort n’ont pu se dire. Le malade pensait guérir, certains de ses proches le croyaient aussi, d’autres savaient la mort imminente.
Alors souffrances morale et physique se mêlent, la révolte de voir que tout cela a été vain : « pour finir comme ça, ce n’est pas juste », a dit sa compagne.
Cette accumulation de malheurs et l’écho de la souffrance nous laissent alors comme hébétés, « idiots », au sens de : « ne comprenant pas ».
J’ai vu votre note, sur votre blog, lorsque votre cousin est mort. A ce moment-là, je n’ai pas trouvé quels mots vous écrire, tant « votre besoin de consolation [me semblait] impossible à rassasier », pour paraphraser le titre de cet étonnant livre de Stig Dagerman. Dire que je comprends davantage votre tourment aujourd’hui me semble abusif. Toutefois je constate une chose : notre absolue égalité devant le malheur, le chagrin, la souffrance.
merci pour ta visite ,si tu souhaites passer un mot aux compagnons ,si tu as des questions n’hésite pas .
Jean paul 2 est un sacré témoignage sur la souffrance ,cela renvoie pour les chrétiens à la souffrance du christ .Au nom de l’amour des hommes .Ayant été infrirmier il y à bien longtemps j’ai été confronté à la fin de vie de personnes atteintes de cancer ,il n’y avait pas de fin de vie accompagnée ,la souffrance les rendait souvent muets ,mais ce qui m’à le plus ebranlé c’est que tous hommes ou femmes appelaient leur mère au nom de quelle souffrance je n’ai jamais su !à plus!
Le plus étonnant n’est-il pas que la recherche du bonheur par tant de moyens aie pour issue l’expérience de la souffrance?