Vingt heures moins quelques minutes, quinze personnes attendent la dernière fournée dans la boulangerie. Tout le monde se regarde en chien de faïence. Soudain, un coup d’interphone. Depuis l’arrière-boutique, le patron annonce que c’est prêt. La boulangère disparaît quelques instants, puis revient avec une panière chargée de… dix baguettes seulement. De toute évidence, il n’y en aura pas pour tout le monde. De là, on peut envisager plusieurs scénarios.
La source de cette accroche est là, encore un blog que j’aime beaucoup : Finis Africae.
Attendre, semble être le meilleur parti. Attendre, il sait faire. N’a-t-il pas passé sa vie à attendre ? Attendre la fin de l’hiver, attendre sa fiancée sous un réverbère, attendre des jours meilleurs… En Union soviétique, attendre était un sport national, qui se pratiquait aussi devant les magasins. Quand il était petit, il lui arrivait parfois d’aller remplacer sa maman dans la queue devant le Gastronom du quartier. En temps ordinaire, tout le monde se promenait avec un petit sac à la main, dont le nom en russe signifie « au cas où ». Un magasin brusquement livré et les ménagères avaient de quoi emporter leurs emplettes. Ce n’était pas comme aujourd’hui, où les sacs plastiques sont offerts en abondance.
A l’époque, les gens avaient de l’argent, mais les boutiques étaient vides. Les estomacs aussi. Souvent. La Boulotchnaïa numéro 2 ne vendait que du pain noir, celle de la Pececypkina avait, parfois, des vatrouchki, cette délicieuse viennoiserie qui contient un coeur de crème sucrée. Un délice… Brusquement, le parfum inimitable des vatrouchki lui revient en mémoire, avec cette part d’enfance russe qui lui tient aujourd’hui tellement à coeur. La rue grise, la pluie froide, la neige hivernale, la raspoutitsa , cette fonte des neiges annuelles qui transformait les trottoirs en marécages, la chaleur étouffante des étés, le camp de repos où la famille passait ses vacances, au milieu des bouleaux, avec la rivière miroitante qui coulait tranquillement. Tant d’années passées, tant de souvenirs et des moments uniques qui ne reviendront plus.
On dit que le monde a changé, que la liberté et l’indépendance ont été gagnées. Que la démocratie a changé le visage de la Russie. Ah bon ?… Nul besoin d’attendre quoi que ce soit, désormais. Attendre, pourtant, c’est bien. On ne sait pas trop ce qu’on obtiendra, mais quelque chose va se passer, c’est certain. Si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain. L’espoir fait vivre.
Je suis hors concours pour cette note. Mais vous trouverez les autres participants ici.